Les rats s’en retournèrent.
Ils nagèrent jusqu’à l’Embankment et sautèrent dans l’eau ; leur pelage noir brillait sous l’éclat du soleil. D’autres, qui se trouvaient sur le pont, fuyaient en couinant, tandis que la créature tonitruante et porteuse de mort sillonnait le ciel. Ils se rassemblèrent au grand jour, tremblants, médusés devant la violence déployée à leur égard, stupéfaits par la perte de ceux qui les avaient gouvernés. Autre chose avait disparu. La Reine Mère et son étrange portée, cette nouvelle race inconnue que les rats noirs avaient souhaité détruire car c’était une espèce différente, n’existaient plus. Ils ne comprenaient pas pourquoi ces nouveau-nés étaient si différents, et cette différence même avait provoqué la panique chez les mutants.
Mais ils n’avaient pas été autorisés à les tuer. La Reine Mère était toute-puissante, elle contrôlait leur volonté, les dirigeait sans permettre la moindre contestation. Sa garde spéciale s’était occupée des rebelles. Et la garde avait été terrassée par la maladie.
Cependant les rats avaient protégé leur matrone, car ses pensées les dirigeaient et les conditionnaient. Maintenant, ces pensées n’habitaient plus leurs esprits. Et leur nombre avait diminué.
Ils retournèrent dans leur monde de ténèbres, à l’abri de cet univers souterrain, loin du soleil. Ils découvrirent très vite l’être humain qui se cachait parmi eux dans l’obscurité, sa terreur masquée, cette odeur alléchante lorsqu’il était en proie à une peur intense. Ils grattèrent la porte derrière laquelle il se cachait. Puis se mirent à ronger le bois. Ils se délectèrent de ses cris.
Quand il ne resta rien de lui, ils errèrent dans les sombres tunnels, satisfaits de séjourner dans ce lieu paisible où ils procréaient.
Quand ils avaient faim, ils quittaient leur univers de nuit éternelle, se glissaient en silence à l’extérieur où le ciel nocturne et la fraîcheur de la brise les apaisaient. Ils se faufilaient au milieu des décombres de la vieille ville, à la recherche de pâture qu’ils n’avaient pas de mal à trouver.
Et ce n’est qu’aux premières lueurs de l’aube qu’ils s’éclipsaient de nouveau dans leurs trous, dans ces tunnels souterrains, quittant à contrecœur ce nouveau territoire de liberté. Ces univers nouveau qui allaient devenir leur empire.